Adeet Thannou : auteur mauricien
Le journal l'Express le présentait ainsi en 2015 : "Adeet Thannoo est professeur de français. Passionné de littérature et musique dès ses années où il fréquentait le Collège Royal de Curepipe, il a vu paraître ses poèmes dans les pages littéraires du journal l’express des années 90’s. Féru de théâtre, il a écrit et mis en scène des pièces de théâtre en kreol et en français au festival d’art dramatique du ministère de la Culture."
Il a également écrit des scénarios en anglais avec l’African Script Development Fund. Il écrit et compose également des ghazals et des chansons en hindoustani. Son recueil de nouvelles 13 Maléfices a été publié par le President’s Fund for Creative writing[The President’s Fund for Creative writing : Mécénat de la Présidence de Maurice en faveur des écrivains ] sous l’égide du Ministère de la Culture l’année dernière (2014).
Roman : action île Maurice - Prix Jean Fanchette 2019
Ayant fixé le premier du mois pour compléter ce blog, je n'ai lu que trente pages en ce 1er décembre de l'an de garce 2020. Pourtant je pressens déjà, le coup de foudre assuré.
Quand débute le roman, Abélard vient de mourir. Sylvie sa compagne se remémore le passé de cet homme si particulier , son homme, journaliste borderline porté sur la boisson, au Mauricien d'abord, puis après s'être fait virer, à l'Express. Sylvie a retrouvé quelques écrits d'Abélard qui entrecoupent son récit.C'est d'ailleurs à la rédaction de l'Express qu'elle avait rencontré Abélard.
Pour l'heure Sylvie reçoit la visite de Nalini, sa ...rivale. Nalini et Abélard se connaissaient depuis l'enfance. Ils se sont aimés. On sent sourdre dans la prose magnifique de l'auteur, la jalousie sourde de Sylvie.
Nalini veut récupérer le journal d'Abélard. Troublée,intriguée, Sylvie répond qu'elle ne sait pas de quoi elle parle mais se met à relire ce journal dès le départ de Nalini pour savoir ce qu'il peut bien contenir de si crucial.
Je ne connais pas encore la suite mais que c'est beau : "Aujourd'hui, Abélard est mort et nous nous disputons sa dépouille..." "Abélard était comme ça ; un grand incendie d'arbre qui avait besoin de son ciel"
Le style est percutant. La prose apprivoise la poésie et me rappelle la grande Ananda Devi qui elle aussi a débuté aux Editions de l'Harmattan.Prix Jean Fanchette 2019, ce roman, est assurément une oeuvre majeure de la littérature mauricienne.Il ne peut en être autrement. Comment se fait-il qu'on en ait si peu entendu parler à ce jour? Il me tarde de lire la suite.
Alors la suite … est définitivement à la hauteur de nos espérances.
On y découvre le portrait de Nalini , issue de la plus basse caste . Elle a intégré la prestigieuse famille des Bassea grâce à l’amour que lui porte « Baby » le fils prodigue qui l’a imposée à sa mère totalement opposée à cette union. Pendant dix ans , Nalini s’ennuie solitaire et triste dans la grande maison, tenue d’une main ferme par Vidya, sa belle-mère. Elle n’arrive pas à concevoir d’enfant. « Baby » devient aigri, distant, volage…
Seul le vieux Sam, l’oncle de la famille, égaye les journées de Nalini. Engagé politiquement, c’est lui qui amène la jeune femme à l’anniversaire du parti au domaine Anna. Nalini s’y révèle. Elle éblouit l’assistance. Au point que le ministre de la santé Krishna Goël lui demande de venir travailler avec lui. Et tandis que Nalini entame son ascension politique, son mariage sombre inexorablement. Futée et déterminée, Nalini impose sa vision, déjoue tous les pièges, tous les scandales et remet à flot le vieux parti usé par la corruption et le clientélisme. Elle deviendra , elle la « tchamarine », Premier ministre .
Sylvie la jeune créole a grandi dans les ruelles de Rose belle. Sa mère Madame Noël, préfère sa sœur Anne-Lise, plus claire de peau. Son père Monsieur Noël , menuisier, a de moins en moins de travail , depuis que les clients préfèrent les meubles tout prêts . Il noie son chagrin dans l’alcool et corrige son jeune fils rebelle Jean Pierre. Sylvie s’accroche à ses études . Elle aime particulièrement la langue française. Sylvie perd Jean Pierre qui s’était enfui de la maison paternelle et a fini sa vie dans la drogue, la solitude, la misère . Sa sœur épouse un Français qui fait venir son beau-père et sa belle-mère en France. Sylvie se retrouve seule à Maurice. Après un moment de désespoir , elle remonte la pente, trouve un travail à l’Express où elle rencontre Abélard.
Malgré la boisson qui mine le quotidien du couple, Sylvie et Abélard filent le parfait amour dans leur appartement de Mahébourg. Les éditoriaux d’Abélard dans l’Express agacent ses patrons mais font un tabac auprès des lecteurs. Quand Abélard soulève une affaire de médicaments interdits en Europe mais qui continuent d’être expédiés et vendus à Maurice, le ministre du commerce « Baby » Bassea et le ministre de la santé Krishna Goël se retrouvent directement impliqués dans le scandale.
Nalini en tant qu’épouse de l’un et assistante de l’autre se retrouve elle aussi doublement impliquée.Baby meurt mystérieusement. A-t-il été assassiné ?
Mais Nalini n’est pas femme à se laisser emporter par la vague. Elle déploie tout son talent, toute son énergie pour retrouver l’honneur perdu. Sur les places publiques, sur les bus de campagne, elle placarde, elle tempête , elle émeut le peuple et gagne les cœurs. Elle retourne même Abélard qui ne peut se résoudre à faire tomber son amour de jeunesse, son amour de… toujours. Il en meurt à petit feu.
Nalini , désormais Premier ministre et Sylvie , journaliste à l’Express, se retrouvent face à face dans un appartement de Souillac, la mer gronde. Nalini veut récupérer le journal d’Abélard. Elle craint qu’il ne contienne des révélations compromettantes. Mais Sylvie ne sait rien, les pages cruciales ont été arrachées. Petit à petit, les deux femmes s’apaisent, Nalini se confie. Que va-t-elle révéler ?
Quel roman ! Un roman social, un roman politique, un roman policier, un immense roman d’Amour !
Quels portraits de femmes magnifiques Sylvie , Nalini bien sûr, d’un homme charismatique Abélard mais aussi de personnages secondaires inoubliables « Baby » Krishna Goël, Vidya , Anne-Lise , Sam et quelques autres plus éphémères bien que tout aussi lumineux .
Quel style ! Un français à fleur de peau , une faute de frappe vient de me faire écrire fêlure à la place de fleur. Mais ce n’est peut-être pas un hasard tant le style empli de poésie, de réalisme, de sensibilité met en exergue les forces et les fragilités fulgurantes des héros . Il y a tant de belles phrases qu’il faudrait quasiment citer tout le livre pour ne pas en oublier une d’importance.
Quelle force philosophique empreinte de sagesse et de spiritualité hindoues :
« Il nous est donné tant de vies, autant de mondes, autant d’univers qu’il faut apprendre l’Amour. Ce que notre être psychologique commet n’est que contingent ; l’être psychologique agit, l’âme apprend, au hasard de ses pérégrinations, car le hasard est divin. Une création de Dieu. Le moyen pour l’âme de connaître, de faire l’expérience de tout le spectre de l’Amour. Elle est exonérée au départ même de tous les actes, car au bout de son voyage, quand elle a appris l’Amour, elle devient à son tour un univers particulier, propre à elle, avec ses lois physiques et temporelles pour s’épanouir dans l’infini et prodiguer à son tour l’Amour aux âmes que Dieu lui donne à enfanter. Le destin de Dieu est de peupler l’infini d’Amour ; De ce fait tout être est digne d’amour quel que soit l’acte qu’il commet. […]
Les actes sont condamnables dans le contexte d’un monde et ne trouvent leur matérialité que dans ce monde ; on peut choisir la condamnation pour solder le mal fait, et dans l’absolu, l’être doit être aimé quel que soit son crime… Pour ce qu’il est , avec ses qualités et ses défauts, ses forces et ses faiblesses, ses héroïsmes et ses lâchetés ; comme on aime son enfant tout en le laissant marcher vers le bagne ou l’échafaud…Un proverbe marathi dit avec regret que la mère donne naissance à l’enfant mais ne peut lui donner son destin. De ce fait nul ne peut lui refuser son amour. L’amour transcende tout et doit tout transcender. La haine, la vengeance sont des enfants de la Peur. »
Merci Monsieur Thannoo, avoir découvert la même année votre roman exceptionnel et les albums de Jennifer Haben avec Beyond The Black sont mes plus belles rencontres artistiques de ces dernières années. Finalement il y aura quand même eu du bon et du beau en 2020.
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