Dr Pouvani Devi Cudian - auteure mauricienne . Ce roman s'inspire du parcours et des études de cette jeune médecin de 26 ans en 2020. Cet ouvrage est la traduction en français du roman paru d'abord en anglais.
Pouvani Devi Cudian, auteure de «Miroir Miroir. Est-ce bien moi ?» : «Il y a bien une certaine fierté à se réclamer du QEC»
L’anorexie
serait-elle la maladie infantile des adolescentes victimes du
harcèlement dans le milieu scolaire. Quel est le point de bascule dans
leur vie, là où plus rien ne compte à l’exception de la dictature des
lignes pures ? Dans un ouvrage lancé cette semaine, la doctoresse
Pouvani Devi Cudian livre un témoignant bouleversant d’un cas aux
apparences fictives, certes, mais qui a le mérite de cerner le défi
pathologique de l’anorexie chez une jeune collégienne d’une star collège
de Maurice. Le titre de l’ouvrage « Miroir Miroir. Est-ce bien moi ? »
suit pas à pas ce traumatisme qui la conduira dans un centre
psychiatrique.
« Toutes les filles cool ou populaires de la classe profitaient de ce
moment pour étaler leurs corps parfaits dans leur short et débardeur
tandis que je faisais de mon mieux pour cacher mes imperfections avec
mon tee-shirt surdimensionné et mon jogging. » Cela se passe dans un
collège huppé de l’ile, à l’heure de l’éducation physique, ce moment de
‘vérité’ où les collégiennes se livrent au regard examinateur de leurs
copines. Personne n’y échappe, même dans un collège qui a pour vocation
de former l’élite féminine de Maurice. Lisa veut y faire partie et
devenir médecin comme son frère. Une profession digne des élites, comme
celle des avocats où les parents sont fiers de pouvoir dire à la
cantonade que leurs enfants ont un statut. Mais la ‘rat race’ a parfois
ses ratés.
Agressive et antisociale
Au départ, Lisa est une jeune fille comme les autres, avec une envie totalement libérée de manger mais elle finit par découvrir qu’elle a pris des kilos dont il faut absolument se débarrasser. La solution c’est de ne plus rien manger. La voilà donc en thérapie, sous la contrainte de ses parents, chez un médecin qu’elle considère ‘fou’. Lisa ne se rend pas compte que dans sa quête de maigrir, elle tend dangereusement vers l’anorexie. Et puis, elle est devenue agressive et antisociale.
Jusqu’à présent, elle avait tout fait pour plaire à ses parents dans sa « quête pour être la parfaite petite fille ». « J’étais devenue obsédée avec mon poids que je croyais être la seule chose sous contrôle. Les leçons particulières interminables pendant la semaine et les cours supplémentaires les weekends pour me distinguer au niveau académique ne valaient-ils rien à leurs yeux ? », se demanda-t-elle.
Croyance en Dieu
Sans trop s’en apercevoir, le sol se glisse doucement sous ses pieds, avec sa croyance en Dieu qui se dissout et la perte de sa concentration durant les cours. « J’étais préoccupée par quoi manger durant la journée et quels exercices pratiquer pendant le weekend (…). » A la recherche de la perfection absolue, elle ne pouvait se faire à l’idée « que quelqu’un puisse trouver un quelconque défaut dans mes études ou dans mon apparence physique à laquelle je n’avais jamais prêté attention. Désormais, pendant chaque classe d’éducation physique, je me rappelais le besoin de perdre des kilos. ».
Ses devoirs et projets devenus pressants, elle trouve moins de temps pour ses exercices mais elle continue de plus belle à suivre son régime d’amaigrissement. « Je me trouvais toutes sortes d’excuses le matin pour ne pas manger, je ne prenais que quelques légumes au déjeuner et j’évitais le diner. J’allais m’endormir affamée et me réveillée grincheuse. Mon rapport avec mes parents devint compliqué. Eventuellement, je ne sortis plus et fus qualifiée de marginale. » Ce qui arriva était prévisible : « Le Dr Brown diagnostiqua lors de la deuxième visite une anorexie mentale ».
Dérive pathologique
Dans ce récit où elle décrit la dérive pathologique d’une lycéenne brillante, obsédée par les lignes de son corps, le lecteur ne manquera pas de dresser des similitudes entre l’auteure et son principal personnage. Même collège – le QEC, qui n’est pas nommé -, un frère médecin et la poursuite de l’obtention d’une bourse. D’ailleurs, Om Nath Varma, sociologue la décrit comme « une jeune auteure qui tire de son vécu les expériences d’une jeune adolescente en dépression conjuguée a sa perception professionnelle en tant qu’étudiant et docteur en médecine. »
Mais Pouvani Devi Cudian récuse cette parenté, préférant attribuer son récit à ses observations et son imagination. Toutefois, la description qu’elle fait du quotidien de ‘Lisa’, et les mots qui décrivent la lente descente de celle-ci sont trop pointus pour qu’on puisse croire un seul instant que le récit est le fruit de son imagination. Elle-même issue de deux collèges – le deuxième étant le QEC-, elle a été témoin de la fameuse course effrénée aux bourses. « A y regarder de près, je comprends que des parents soutiennent leurs gosses à rechercher cette bourse, compte tenu du coût des études à l’étranger. Ils veulent le meilleur pour eux. Puis, il y a bien une certaine fierté à se réclamer du QEC », admet-elle.
‘Rat race’
Mais là où elle dresse la ligne, c’est au niveau de cette fragilité qui peut se rompre lorsque la ‘rat race’ est à son tour soumise à cette dictature imposée par la figure de la fille aux courbes parfaites, véhiculée par les réseaux sociaux. « Ce sont des pressions insoutenables, reconnait-elle, mais à la fin, il faut faire un choix. Comment y arriver lorsqu’on veut être parfaite en tout ? », se demande-t-elle. Ce qui arrive à ‘Lisa’ est tout à prévisible, mais ni ses parents ou ses profs ne se rendent pas compte qu’elle perd pied petit a petit. « Le milieu scolaire est sans doute le lieu privilégié où se manifestent les premiers symptômes de l’anorexie, fait-elle observer. Mais de nombreux enseignants ne se formés à la psychologie, d’autres préfèrent s’en détourner le regard. Puis, un beau jour, le mal apparait au grand jour mais certains choisissent de le couvrir car les pathologies mentales restent encore un tabou. »
Durant son internat, Pouvani Devi Cudian, lauréate de la cuvée 2012, a été exposée à ‘la vraie vie’, un monde grouillant d’authenticité, ou elle a pris la mesure des troubles mentaux. Dans la préface de son livre, elle s’interroge : « Qu’est-il plus simple de soigner ? L’homme se vidant de son sang après un accident de la route ou celui souffrant d’un trouble mental ? Croyez-moi, il n’y a pas de blessure plus compliquée que celle étant invisible. L’agonie et le déclin d’une personne qui traverse un trouble psychiatrique sont plus que ce qu’elle montre. Les peines et les sentiments tels que l’inutilité, le désespoir, la solitude et la culpabilité, entre autres, peuvent mener à une mort lente mais certaine en s’entassant jour après jour. »
Miroir, miroir, est-ce bien moi ? du Dr Pouvani Devi Cudian (91 pp)
Imprimé par Stella Printing
Prix : Rs 400
En vente à BookCourt, Le Printemps et le Cygne
Philippe Ah Chuen : le mécène discret
Rien ne distingue l’Espace Culturel où a lieu le lancement du livre de Pouvani Devi Cudian, dans l’immeuble qui abrite Allied Motors, sur l’autoroute à proximité de Réduit. Pourtant, c’est l’endroit où des livres sont lancés, des calligraphies, sculptures et photographies exposées. Le directeur-général d’Allied Motors, Philippe Ah-Chuen, n’en est à son premier exercice de mécénat avec le livre de Pouvani Devi Cudian. L’Espace culturel était inscrit dans ses desseins lorsque le projet de Bagatelle avait été conçu. « On nous avait offert de l’espace dans l’enceinte du mall, mais on avait déjà ce projet culturel », explique-t-il. Un des rarissimes patrons engagés personnellement dans le mécénat, il regrette toutefois que les Mauriciens sont trop peu à se lancer dans l’écriture.